Comment améliorer le projet européen pour ne pas oublier les intérêts des peuples et des pays ?

Publié le par congresutile30

Contribution de Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène
 
Ces dernières années, le front de l'euro-scepticisme s'est structuré pour des raisons à la fois politiques et économiques. Celles-ci sont souvent le reflet d'inquiétudes des citoyens face à une économie jugée trop libérale et pas assez sociale, et à l'égard d'un processus qui leur apparaît peu lisible et dont ils mesurent mal les effets sur leur propre devenir.
Alors même qu’apparaissent de nouvelles grandes puissances telles l'Inde, la Chine, la Russie, le Brésil et l'Argentine, la France ne peut à elle seule peser sur les affaires du monde ou réguler la mondialisation. Nous devons « penser européen » car seule l'Union européenne en a la capacité et les moyens. Mais face à cette union d'États souvent perçue comme abstraite et lointaine, la culture européenne et la démocratisation institutionnelle apparaissent essentielles à l'appropriation collective des enjeux de la construction européenne.
 
1.Les citoyens européens ne sont pas formés à des connaissances communes et ignorent trop souvent l'histoire collective de l'Europe. Ce sont pourtant deux aspects indispensables à l'existence d'une conscience européenne. L'adhésion à une identité commune passe nécessairement par une démarche pédagogique destinée prioritairement à la jeunesse dans l'ensemble des États membres. L'Union a un rôle d'impulsion qui doit s'articuler autour de grands objectifs désormais largement admis mais insuffisamment appliqués : politiques scolaires et culturelles nationales ouvertes sur les autres cultures européennes ; maîtrise de deux langues étrangères ; pas de baccalauréat (ou diplôme équivalent) sans un semestre dans un autre pays européen ; séjours de formations étudiantes dans un autre pays de l'UE ; multiplication d'organismes plurinationaux d'enseignement et de culture ; réseau d'universités européennes capables de concurrencer les meilleures écoles américaines et asiatiques ; ouverture au sein de tous les médias d'espaces pour d'autres langues ; large circulation des œuvres dans l'espace européen ; etc. 
Nous pourrions également disposer de modules d’enseignement de culture européenne démontrant l'existence d'une unité culturelle transversale, construite au fil de l'histoire du continent. Le bénéfice de l'ensemble de ces dispositifs est double : tout d’abord, apprendre à respecter les modes de pensée et de vie différents et veiller à ce qu’aucun ne domine les autres ; ensuite créer des réseaux de relations, privées ou professionnelles, qui sont autant d’atouts pour la construction européenne. La solidarité entre Européens sera confortée si ceux-ci sont encouragés à tisser des liens culturels avec d’autres « eurocitoyens ».
Dans un autre registre, il faut aller beaucoup plus vite dans les comités d’entreprise européens et organiser des jumelages les plus divers, qui ne se limitent pas aux collectivités locales.
Pour maîtriser concrètement leur avenir en Europe, les citoyens doivent également avoir accès à toute information nécessaire à la prise de décision. Or, bien que les institutions européennes, soumises à certaines obligations, jouent davantage la carte de la transparence que la plupart des États européens, l'information ne parvient pas à susciter la participation des citoyens au projet européen. L'UE est trop absente des établissements d'enseignement comme des programmes audiovisuels. Par ailleurs, elle est encore bien trop souvent le bouc-émissaire des États membres dès lors que sont mises en œuvre sur les territoires nationaux des politiques impopulaires. Parallèlement, lorsqu'une une action européenne est bien perçue par la population, elle est régulièrement récupérée politiquement par des élus ou gouvernants nationaux qui ne pensent que trop rarement « européen ».
Une médiatisation au niveau continental de toute action européenne, via des médias réellement européens, aurait un impact particulièrement positif sur la formation d'une identité commune et décrédibiliserait certaines utilisations politiciennes. L'obstacle de la langue est évidemment un frein à l'émergence de médias grand public européen, mais ne doit pas l'empêcher. Il faut être volontariste sur ce sujet, favoriser tous les projets de médias ayant vocation à « penser européens » et à s'adresser à tous les européens. Si nécessaire l'UE devra servir de soutien ne serait-ce que pour garantir l'indépendance de ces titres. De même, il serait pertinent de créer au niveau local des missions d’information permanente sur l’Europe (du type mouvement européen, trop méconnu) .Celles-ci pourraient être confiées à des associations pluralistes et ouvertes, qui au niveau européen formeraient un réseau avec leurs homologues de chaque État membre. Au niveau institutionnel, on peut envisager la création de délégations nationales rattachées aux différents ministres des affaires Européennes pour impulser ce dialogue européen de proximité. Enfin, le renforcement de la présence de la symbolique européenne – le drapeau, l’hymne – est essentiel car il contribuera au sentiment d’appartenance à une communauté transnationale. L'euro crée aussi un lien entre les citoyens de l’Union et porte une dimension symbolique importante. Mais celle-ci reste bien trop faible, en raison de la hausse des prix liée au passage à l’euro, de l'absence d'une politique économique commune, et de la mise en cause (souvent injuste) récurrente de la monnaie unique dès lors qu'une situation économique nationale se dégrade. La plupart des pistes ici envisagées sont évoquées depuis de nombreuses années sans qu'aucune ne soit réellement engagée. Tout au long de la présidence française de l'Union, le parti socialiste -avec ses homologues européen et le PSE- se devra d'être présent pour défendre les moyens permettant l'émergence d'une conscience collective européenne, préalable indispensable à une Europe politique.
 
 
2. Nous savons que ce sont prioritairement les catégories sociales les plus élevées qui adhèrent au projet européen, répondant en cela à une forme de déterminisme sociologique. Cela confirme la nécessité d'une démocratisation de l'Union européenne, pour rendre possible tout projet fédérateur. En l'absence de partis politiques européens digne de ce nom - qui ont le devoir de se créer -, la démocratisation institutionnelle suppose de nouvelles formes de participation citoyenne. Il faut associer de manière plus directe la société civile à l'activité communautaire, et faire un large recours à des modalités innovantes de démocratie participative. La démocratie et la citoyenneté européenne ne sont pas encore une réalité politique, et constituent toujours un projet d'avenir. Un projet qui se doit d'être rapidement appliqué si l'on ne veut pas voir renaître le nationalisme partout en Europe. Nous ne partons pas de rien. Nombreux sont les signaux qui témoignent de l'émergence d'une opinion publique européenne, comme par exemple le même refus de la guerre en Irak adressé en 2003 aux différents gouvernants par les peuples de l'Union, ou plus largement, la sensibilité sur certains sujets transnationaux (environnement, OGM, etc.). Mais, alors qu'il devrait être moteur, le politique reste en retrait. Il est donc vraisemblable que seul l'établissement de listes transnationales pour l'élection d'une partie des « eurodéputés » permettrait l'émergence de véritables formations politiques européennes. Cela aurait l'avantage d'empêcher l'instrumentalisation des élections européennes à des fins politiques nationales et les concentrerait sur des sujets européens. Au sein de l'UE, les votes pour ces élections devraient être organisés le même jour et l'analyse des résultats faite ensemble. Enfin, il est essentiel de faire prévaloir une lecture européenne de chaque Conseil européen. Actuellement, chaque gouvernement met l'accent sur ce qu'il a obtenu de ses partenaires et sur sa capacité à faire accepter ses intérêts nationaux. Or la somme des intérêts particuliers n'est pas constitutive d'un intérêt général européen. Ce prisme national étant dominant, il enraye toute émergence d'une opinion publique européenne. L'instauration de véritables partis politiques européens devrait pouvoir dé-nationaliser les enjeux.
Le système institutionnel communautaire laisse encore une trop large place aux accords inter-étatiques et à une Commission dont les compétences exécutives n'en sont finalement que l'émanation (puisque conférées par le Conseil de l'Union). Or, seul le Parlement européen est réellement démocratique. Si l'instauration future d'un président permanent du Conseil de l'Union permettra une meilleure visibilité politique de l'UE, elle ne suffira pas à répondre aux demandes d'implications citoyennes.
La réussite de la démocratisation institutionnelle se fera à la condition que le citoyen européen soit mis au cœur du processus de construction. Il doit pourvoir y contribuer plus fortement et en être la finalité. Pour ce faire, l'ensemble des structures décisionnelles doivent encore être réformées afin d'être rendues plus démocratiques, plus efficaces et plus transparentes.
Pour que l'Europe regagne la confiance de ses peuples, il nous faut enfin donner toute sa signification à la citoyenneté européenne.
 
Citoyenneté en devenir, citoyenneté qui tarde à s'affirmer, elle aurait tout à gagner d'une profonde réforme des institutions de l'Union. Mais c'est avant tout l'impulsion politique pour la construction d'une véritable conscience européenne puis d'une « Europe puissance », qui permettra aux citoyens de se saisir pleinement de cette question. L'opinion publique sera plus réceptive à une ambition commune allant dans le sens d'un véritable acteur global européen qui ait les moyens de construire un espace plus humain, social, écologique et démocratique.
 
 
Deux positions s'offrent à l'Union européenne dans les relations internationales : celle de l'Europe espace, grand marché unique mais sans ambition commune et qui ne pourra donc pas répondre aux attentes de ses citoyens ; ou celle de l'Europe comme acteur global, « l'Europe puissance ».
Si la mondialisation actuelle est un état de fait, elle va actuellement moins de pair avec une démocratisation de la planète qu'avec une fragmentation des territoires. Loin d'être un facteur d'unification, elle contribue trop à séparer les mondes. Lui répondre sur le plan des valeurs est un défi central tant la fragmentation spatiale fragilise l'esprit urbain.

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